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Les carnets web de l'écrivain Stanley Péan

Amen

[Rédigé en matinée à bord de l’autobus
entre Montréal et Trois-Rivières]

Anna et sa félicité

Il a été beaucoup question de la foi et, surtout, de l’âme immortelle dans V, remake amusant quoique souvent un tantinet caricatural de la série-culte des années 80. Certes, on n’est loin des interrogations métaphysiques de Battlestar Galactica réimaginé par Ron Moore. N’empêche… Dans la nouvelle série V, Anna, la diabolique reine des «visiteurs» qui cachent sous leur apparence angélique des visages de prédateurs reptiliens, aimerait savoir comment extraire de ses cobayes humains cette présumée âme qui nous rend si différents de son espèce (aux dires de Jack Landry, l’ex-soldat devenu prêtre, l’un des leaders de la résistance), pour mieux nous assujettir à sa volonté. En lieu et place du libre-arbitre qui prétendument est enracinée dans l’âme, la reine offre à ses sujets sa «félicité» (bliss, en anglais) au cours d’un cérémonial baigné de lumière céleste; il s’agit d’une sorte de charme surnaturel qui tient à la fois du lien télépathique et du lavage de cerveau. Et qui laisse tout le monde en paix, toujours. Dans l’épisode de cette semaine, Anna a même trouvé un moyen d’étendre l’effet de sa «félicité» à l’ensemble de la population de la planète Terre, qui devrait désormais lui obéir au doigt, à l’œil et probablement à la queue de diable dissimulée sous son déguisement humain.

Ces thématiques, il va sans dire, font écho à des interrogations relevant de l’air du temps. Ces mois derniers, chez nous, des leaders pas tout à fait aussi charismatiques que la ravissante comédienne brésilienne Morena Baccarin qui incarne Anna dans le feuilleton de SF, s’escriment à manipuler des opiums aussi puissants que la «félicité». Il se peut certes que le maire Jean Tremblay de Saguenay soit sincère dans son entêtement à maintenir le rituel de la prière en ouverture des séances du conseil municipal, quitte à braver la décision rendue par un tribunal sur l’illégitimité de cette pratique, contraire à l’idéal moderne de séparation entre l’État et l’Église. Il se peut qu’en bon catholique attaché à ce qu’il considère comme des valeurs fondamentales de la société québécoise le maire Tremblay soit juste à l’écoute de sa conscience. Mais il se peut aussi qu’il s’agisse simplement d’une manifestation du même populisme dont fait preuve le maire Régis Labeaume à Québec, qui s’est métamorphosé en Jean le Baptiste annonciateur du retour du hockey professionnel.

Appuyé par les forts-en-gueule de la radio-poubelle qui donnent le ton dans la Vieille Capitale, le maire Labeaume a non seulement décidé d’aller de l’avant sans consultation avec son projet d’amphithéâtre onéreux financé par les contribuables de sa municipalité, il a également su convaincre le gouvernement Charest d’investir 200 M$ dans cette aventure – un exploit, tout de même, quand on considère que ce gouvernement n’a cessé de jouer la carte de l’austérité nécessaire à la santé des finances publiques pour justifier des compressions radicales dans des domaines essentiels. Comble du succès, le prophète Labeaume a su attirer l’intérêt de Pierre-Karl Péladeau, qui devenu ces derniers années ce que le Québec tient pour le plus proche d’une Sainteté, après ses amis Céline et René. (Oui, car PKP est grand et Richard Martineau est son prophète, amen.) Et échange d’une contribution modeste, relativement aux sommes puisées dans les deniers publics, l’Empereur s’est vu garantir la main-mise sur l’essentiel des retombées économiques de ce temple érigé à la gloire du hockey et de Quebecor. (Doit-on encore une fois rappeler que la construction Centre Molson – aujourd’hui devenu le Centre Bell – a été entièrement financée par le privé, à un coût évaulé à 230 M$ en 1996?)

Il va sans dire que le principe mis en application ici remonte à bien avant Anna, Jean Tremblay et Régis Labeaume. Depuis l’antiquité romaine, on connait bien  les opiums les plus susceptibles de gaver les masses et s’assurer de leur docilité: panem et circenses. Et tous seront en paix, toujours.

March 17th, 2011
Catégorie: Commentaires, Réflexions Catégorie: Aucune

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